Découvrez le livre "Des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers" photographies de Bernard Rondeau, textes de Marion Esquerré : extraits de textes, photos, rendez-vous, dédicaces, commentaires des auteurs ...
Parution du livre le 8 octobre 2009, aux éditions du cherche midi.

mercredi 21 octobre 2009

Des quartiers fraternels, Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

Françoise s'est rendue tous les jours, avec une assiduité exemplaire, au 6/8 rue Xaintrailles dans le XIIIème arrondissement de Paris. Là, pendant dix-sept semaines, vingt-neuf ouvriers sans papiers, issus de six entreprises de démolition et de deux entreprises de nettoiement, ont occupé le chantier de démolition d'un bâtiment de la paroisse Notre-dame-de-la-gare. […]
La solidarité des habitants du quartier, militants associatifs, politiques et syndicaux ou simples voisins, s'organise rapidement [et prend une ampleur que seuls quelques sites en grève ont connue. […] Sans doute, ce soutien collectif a aidé les grévistes à ne pas flancher dans les moments de doute.

lundi 19 octobre 2009

Le combat pour l'émancipation, Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

[…] « Le 15 avril 2008, on nous a proposé d'aller soutenir un piquet de grève à Villejuif. Il y avait la CGT et la presse. C'est moi qui ai pris la parole. Pour une fois, des femmes osaient dire qu'elle n'avaient pas de papiers et qu'elles voulaient être régularisées par le travail et non par le regroupement familial ou les enfants. Nous avons un rôle dans la société. Pourquoi on continuerait à se cacher ? » 

samedi 17 octobre 2009

La grande armée des ombres, Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

« Je fais partie de ceux qui ont ouvert le grand squat de Cachan. J'ai vécu trois ans là-bas. La police venait tout le temps autour du squat. Quand je rentrais du boulot, j'avais peur. Et puis, quand il y a eu le mouvement des habitants, je ne voulais pas que l'on me voie à la télévision, que le groupe Flo me reconnaisse ». […]
L'occupation [du restaurant de la Grande Armée] débute le 13 février 2008 et prend fin six jours plus tard, lorsque sept des neuf grévistes obtiennent leur régularisation [...] Cette victoire, suivie dans les médias par de nombreux travailleurs sans papiers, accélèrera la préparation du mouvement lancé le 15 avril.

lundi 12 octobre 2009

Des militantes de terrain, Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

Marilyne Poulain travaille depuis 2003 pour l'association Autremonde, en tant que coordinatrice des « ateliers sociolinguistiques - accès aux droits » dans cinq foyers de migrants. […]« Je trouvais plus fort qu'un sans-papiers se batte en tant que salarié, qu'en tant que membre d'une association, maintenu dans l'image de l'exclu. Nous pouvions faire un travail de sensibilisation mais c'était aux syndicats de prendre la lutte en main ». […] Marilyne Poulain jouera un rôle de médiation entre syndicats et associations, deux mondes qui se méconnaissent. […]
Ana Azaria, formatrice, est présidente de l’association femmes Égalité. […] Nos actions se complètent. Un syndicat ne pouvait pas trouver ces femmes qui travaillent hors des entreprises. Et nous ne serions arrivées à rien sans la grève et le rapport de force imposés par le syndicat ».
Quatre-vingt-sept femmes ont déposé ensemble leur demande de régularisation en mai 2008. Un an après, soixante-treize d'entre elles avaient leurs papiers.

Les murs de l'intérim, Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

[…] En octobre 2008, Hamet et deux amis rejoignent le piquet de grève de l'agence Manpower du XIIe arrondissement de Paris, tenu par 25 salariés et l'Union syndicale de l'intérim CGT depuis le 18 septembre. Après plus de trois mois d'occupation, Manpower accepte d'appuyer les démarches de régularisation de ses salariés, selon les règles établies à la mi-décembre par le gouvernement. […]

samedi 10 octobre 2009

"Les rippeurs se fâchent", Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

[…] Tous les matins, les rippeurs sont attendus par leur chef et les bennes à ordures vers 5 heures du côté de la gare du champ de course d'Enghien. À cette heure-là, il n'y a pas de transports en commun. Sans permis de conduire, la plupart des travailleurs sont donc contraints de marcher dix kilomètres pour rejoindre le rendez-vous. Réveil entre 3 et 4 heures... « Quand les bennes arrivaient, à 5 heures, le chef disait : « toi tu montes, toi tu montes, toi tu montes, les autres, il n'y a pas de boulot aujourd'hui, revenez demain ! » Les hommes rentrent bredouilles aux alentours de 6 heures après avoir fait vingt kilomètres aller-retour. Or, chez Val Horizon, seul le travail effectif est payé, à la minute près. […]
Pendant dix-neuf jours, avec le soutien du syndicat et de nombreuses associations, quarante-deux grévistes occupent le site. Au final, ils obtiennent leur régularisation, excepté cinq hommes qui, au moment de déclencher la grève, ne travaillaient plus pour l'entreprise. […]

vendredi 9 octobre 2009

"La grève, arme d’émancipation pour les travailleurs sans papiers", Raymond Chauveau, coordinateur CGT du mouvement des travailleurs sans papiers. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

[…] Avec plusieurs grèves déclenchées en même temps et coordonnées syndicalement, avec des occupations d’entreprise, c’est un véritable mouvement de travailleurs sans papiers qui se lève et interpelle, non pas simplement tel ou tel patron, telle ou telle préfecture, mais le gouvernement et son ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale. En fait, toute la société. […] En faisant grève massivement à partir de ce 15 avril 2008, les travailleurs sans papiers ont rejeté ce manteau du clandestin, que le patronat et l’État voulaient absolument qu’ils gardent comme une deuxième peau pour faire d’eux des boucs émissaires, si utiles en temps de crise. Leur grève a neutralisé le vieux discours éculé et nauséabond : « du travail pour les Français d’abord ». […]
Ce mouvement de grève a révélé toute l’étendue de l’hypocrisie du système. Il a suffi que ces travailleurs brandissent devant les caméras, feuilles de paie et déclarations d’impôts pour que l’opinion publique comprenne la nature profonde de ce mouvement et le soutienne. Autour de tous les piquets de grève se sont constitués de nombreux comités de soutien. […]
Il en a fallu du courage de la part de ces hommes et de ces femmes pour se lancer dans ce mouvement. Une fois le badge syndical sur la poitrine, face au patron, impossible de revenir en arrière. Ce courage, c’est aussi la marque de fabrique de cette « grande grève » des travailleurs sans papiers. Grève, nécessaire, obligatoire pour gagner non seulement ses papiers, mais aussi pour toute une dignité, dans cette société capitaliste où rien ne se donne mais où il faut tout arracher.

jeudi 8 octobre 2009

"3,80 euros de l'heure", Marion Esquerré. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".

[…] Repos hebdomadaires, congés payés, jours fériés n'existent pas selon la loi de son employeur. Si un salarié tombe malade, s'il est victime d'un accident du travail, ses jours d'absence lui sont décomptés. Une seule règle est appliquée : travailler dix heures par jour, sept jours sur sept pour recevoir 3,80 euros de l'heure – le niveau du Smic au milieu des années 1980. […]
Les grévistes de Casa Nova ont été parmi les premiers à obtenir une régularisation, dès le mois de mai 2008, et sans devoir continuer à travailler à Casa Nova. Depuis, tous ont trouvé un nouvel emploi. Mais ils ont aussi lancé une procédure auprès du tribunal des prud'hommes pour obtenir réparation de toutes ces années d'exploitation.

mercredi 7 octobre 2009

"Faire valoir les droits des salariés", Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".


[…] C’était un défi posé au syndicalisme : alors que nous avions conquis les premières régularisations de salariés dès 2006 (blanchisserie Modeluxe dans l’Essonne), allions-nous accepter que des salariés restent sans droits dans nos entreprises parce que sans papiers ? Allions-nous « laisser la main » aux employeurs ? Allions-nous accepter que perdurent les délocalisations sur place, ravageuses pour les droits sociaux de tous ? […]
Les salariés sans papiers, que certains évaluent entre 300 000 à 400 000 en France, sont employés massivement dans un segment particulier du marché du travail au sein des branches non délocalisables – hôtellerie, restauration, construction, services à la personne, nettoyage, travaux agricoles, sécurité… – et d’une partie de la sous-traitance. Ce segment de travail, même pendant la crise et même avec ces salariés en activité, continue de manquer de main-d’œuvre. […]
Ce système bien rôdé aurait pu avoir de beaux jours devant lui. C’était sans compter sur le ras-le-bol ressenti par de plus en plus de salariés qui ont décidé d’investir le seul endroit où ils ne sont pas des sans-papiers mais des travailleurs comme les autres : leur entreprise. […]
Les nombreux protocoles de fin de conflit qui prévoient des requalifications ou des passages en CDI, des augmentations significatives de salaires, des passages à temps plein, des engagements de mission de douze mois et plus pour des intérimaires, la création de bases syndicales ou leur renforcement significatif sont autant d’acquis directement applicables aux salariés concernés. Ils sont également de nature à améliorer la situation de nombreux autres salariés des secteurs non délocalisables dès lors que les syndicats, s’ils sont présents, les connaissent et s’en emparent. Les déblocages de situations, suite à des interventions syndicales fortes auprès d’employeurs de salariés individuels, sont un encouragement à la lutte pour les salariés, sans ou avec papiers, des petites entreprises. […]
La lutte continue donc plus que jamais. Pour un monde où circuler librement ne sera pas réservé à quelques-uns. Pour une mondialisation enfin respectueuse de l’Homme et du Travail.

dimanche 4 octobre 2009

"La longue lutte des sans-papiers de 1996 à 2007", Emmanuel Terray, anthropologue. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers".



Le mouvement de grève des travailleurs sans papiers à partir du 15 avril 2008 représente incontestablement un tournant et un « saut qualitatif » dans la lutte déjà longue des sans-papiers en France. Mais pour apprécier l’ampleur de ce tournant, peut-être est-il utile de se tourner vers le passé de cette lutte, et de dresser un bilan des résultats qu’elle avait obtenus avant le commencement de la grève. […]
À la fin de l’année 2007, quel bilan pouvait-on tirer ?
À l’actif, on peut ranger, me semble-t-il, trois acquis majeurs.
En premier lieu, la lutte des sans-papiers a imposé un certain nombre de régularisations. […]
En second lieu, le mouvement a changé en profondeur l’image des sans-papiers dans l’opinion publique.[…]
En troisième lieu, sur le plan de l’organisation, le principe de l’autonomie du mouvement des sans-papiers est maintenant universellement accepté. […]
Passons à présent au passif : trois principaux « points noirs » peuvent être cités. En premier lieu, le mouvement n’a jamais réussi à trouver une juste articulation entre lutte locale et lutte nationale. […]
En second lieu, le mouvement des sans-papiers a éprouvé de grandes difficultés à prendre en compte la diversité de ses composantes, notamment dans la région parisienne. […]
Enfin, jusqu’à 2006, le mouvement souffre d’une insuffisance grave dans sa manière de poser le problème des sans-papiers, et c’est précisément sur ce point que le mouvement de grèves de 2008-2009 va constituer un progrès considérable. Jusqu’à 2006, la lutte des sans-papiers est principalement conduite au nom des droits de l’homme, du respect des droits et de la dignité des personnes. […]
C’est précisément cette limite qui sera franchie lors du mouvement de grève de 2008-2009 : désormais les sans-papiers sont défendus comme travailleurs, et les organisations syndicales s’engagent comme telles dans cette défense, qui s’inscrit maintenant dans leurs tâches « naturelles ». Ainsi, une nouvelle période s’ouvre dans l’histoire du mouvement des sans-papiers, et nous n’avons pas fini d’en mesurer les effets.

jeudi 1 octobre 2009

"Enfin libres", Bernard Rondeau, photographe. Extrait du livre "des hommes libres, une histoire de la grève des travailleurs sans papiers"


Lorsque mon ami Olivier m’a proposé, un soir d’avril, de partir en voyage avec lui, j’ai accepté joyeusement. Ce périple se présentait sous les meilleurs auspices : de l’action, du dépaysement, de l’humain. En somme, une belle aventure pour un photographe. […]
La grève des travailleurs sans papiers venait de débuter et notre périple ne dépasserait pas le Val-d’Oise. Mais quel voyage, au pays du travail à 3,80 euros de l’heure, des congés non payés, du licenciement abusif et du travail à la tâche. Et quelles rencontres avec des femmes et des hommes pétris d’un immense courage.
Car les vrais aventuriers, c’étaient eux, partis depuis longtemps de leur pays natal, ils l’avaient déjà faite leur croisière, sur des bateaux rapiécés, plus proches du Radeau de la méduse que du paquebot. Certains avaient traversé le Sahara, puis le détroit de Gibraltar, rejoignant l’Espagne au prix de souffrances insensées. D’autres avaient eu la chance de venir en avion, visa de tourisme en poche. […]
Les marchandises n’ont pas besoin de permis pour venir enrichir nos sociétés occidentales. Eux si. Ils doivent avoir un permis de travail pour préparer nos agapes, pour ramasser nos poubelles, pour construire les appartements où ils ne vivront jamais. Et ce fameux papier est délivré par la même administration qui leur réclame lors de contrôles et qui les expulse s’ils ne l’ont pas. Ubuesque.
Ils m’ont raconté comment ils ont quitté leur famille, leurs parents, leur femme, leurs enfants, quel déchirement cela a représenté, mais leur responsabilité de père, de fils les conduisait à partir, pour aller gagner l’argent nécessaire à la survie de leurs proches.
Ils m’ont parlé de valeurs dépréciées à notre époque, de la solidarité et de l’action collective, des caisses créées pour développer leur pays, construire des écoles, des centres de santé, des semences et du matériel agricole expédiés au village pour relancer l’agriculture locale, mise à mal par nos schémas colonialistes de monoculture.
Ils ont évoqué avec une grande pudeur les longues années sans retourner au pays, sans pouvoir serrer leurs êtres chers dans leurs bras, les vacances passées au foyer, à Montreuil ou Saint-Denis. Le danger était trop grand de ne pas pouvoir revenir en France.
Pourtant l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme garantit la libre circulation des êtres humains. Mais l’égalité devant la loi n’existe pas et cet article ne s’applique pas à eux.
Tout au long du conflit, ils se sont battus avec volonté, retrouvant la dignité que les passeurs, les patrons, les vendeurs de sommeil voulaient leur voir abandonner, pour mieux les exploiter.
Presque tous ont gagné leurs papiers, après de longues semaines de grève, et le droit de pouvoir retourner au pays, sans crainte d’y rester bloqué.
Quelques mois plus tard, beaucoup ont passé leurs vacances en Afrique. Ils ont pris l’avion, sans les menottes que le migrant malchanceux cache aux poignets, survolé la Méditerranée où tant de camarades se sont noyés, redescendu le Sahara vers le sud en quelques heures alors que le voyage aller a duré des jours, et atterri enfin à Bamako, Dakar ou Nouakchott.
Et là, sur le tarmac brûlant de soleil, ils se sont sentis enfin libres.